Si je n'avais pas lu Edward Saïd, je serais orientaliste - لو ما قرأت كتاب إدوارد سعيد لكنت مستشرقة

Saturday 14 July 2012

Journal de l'AFA

      "- Finalement, l'anthropologie vous a suivi toute votre vie. Est-ce que vous diriez que c'est plus qu'un métier ? Anthropologue c'est une philosophie de vie, un regard sur le monde ?
       - C'est un regard sur le monde bien sûr. J'en parlais hier. La question qu'on me posait était : est-ce que vous êtes étonné du degré de décomposition dans lequel se trouve notre système économique ? Je réponds alors que non parce qu'en tant qu'anthropologue, on n'entretient jamais l'illusion que les sociétés ont une maîtrise absolue sur leur environnement naturel et culturel, sur la manière dont elle font les choses. On sait que les hommes ne trouvent jamais que des solutions très approximatives, qu'il y a beaucoup de choses qui passent à travers les mailles du filet. Donc il ne vous vient jamais à l'esprit en tant qu'anthropologue, comme par exemple à un économiste libéral, de dire que le système capitaliste dans lequel nous sommes est la forme ultime du développement économique et qu'il a atteint le stade de la perfection. Comme vous le savez sans doute, dans certains courants de la pensée économique on prétend que les hommes de comportent de manière "rationnelle", et on veut dire par là : en optimisant l'usage des ressources dont ils disposent, ce qui serait également l'essence du capitalisme, et on en tire qu'il existe une harmonie réelle entre la manière dont les êtres humains sont essentiellement et le système économique dans lequel nous vivons. Avec une formation d'anthropologue je crois qu'on ne parvient jamais à ce type de représentations : l'absurdité de ces raisonnements vous choque.
       - Et aujourd'hui comment vous définiriez-vous ?
       - C'est difficile à dire parce que ce qui s'est passé, c'est que mon livre Vers la crise du capitalisme américain annonçait des événements en disant qu'ils allaient se produire et ... ils se sont produits ! (... )"

p. 345, interview de Paul Jorion par Laura Ferré

      "Au final, c'est en mettant du bon vouloir mais aussi du bon savoir au coeur de nos voyages que nous pourrons demain retrouver le sens de nos pas, ne plus voir mais regarder le monde avec d'autres yeux, ne plus circuler passivement mais rencontrer activement d'autres univers. (...) En cette période de mauvais temps sur le monde, où les replis s'ajoutent aux bassesses, l'urgence de renouer avec soi passe par le détour d'autrui" 

pp.332-333, Aller, venir et devenir anthropologue aujourd'hui, notes de parcours d'un mercenaire du voyage intermittent de l'anthropologie - Franck Michel

       " Les ethnographes sont de plus en plus semblables au chasseur Cree qui (dit-on) vint à Montréal pour témoigner devant une cour du destin de ses territoires de chasse dans le cadre des nouveaux plans hydroélectriques de James Bay. Il devait écrire son mode de vie. Mais une fois sous serment il hésita : "Je ne suis pas certain de pouvoir dire la vérité ... Je peux seulement dire ce que je sais"

p.396, Vérités partielles, vérités partiales, James Clifford


       Un des derniers numéros (126-127) du Journal des anthropologues est très intéressant. "Formations et devenirs anthropologiques" ... On y découvre différentes façons d'apprendre et de faire de l'anthropologie, et tant de différents cursus proposés, et tant de façon d'être anthropologue une fois le(s) diplôme(s) en poche. Suivre le quotidien d'unités de police, travailler dans le milieu psychiatrique, psychanalytique, ou s'intéresser au nouvelles formes du tourisme, ou encore servir de lien, où que ce soit, entre les entreprises, la finance, les ONG et les populations d'ici et d'ailleurs, bref, le boulot "normal" de l'anthropologue, et donc la question de l'anthropologie engagée qui se pose aussi à travers les différents points de vue, et les cas d'anthropologue exerçant d'autre métiers, non employés en tant que tel ... Pour ceux qui veulent en apprendre un peu plus sur le domaine de l'anthropologie, surtout ce qu'il se fait en ce moment, ce numéro me semble être un bon début, en plus des classiques du genre comme "l'anthropologie" de François Laplantine.
       Parfois l'anthropologie me fait penser à une forme de diplomatie à la fois totalisante (parce que touchant à tous les domaines sans exception, et essentielle à grande échelle) et du quotidien (impossible de devenir anthropologue sans être passé par les merveilles et les ennuis du quotidien "autre"), ou peut-être encore plus, mieux, à une entreprise de traduction universelle : faire comprendre le point de vue d'un tel dans le langage d'un autre, quelque soit ce langage, au sens large. 
       J'ai temporairement arrêté les études d'anthropologie, mais une reprise ne saurait tarder, je l'espère ... Enfin, ai-je vraiment jamais arrêté d'utiliser mes cours et mes livres pour observer mes alentours ?

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